Connaissez-vous FIDA ? N’ayez pas honte, les assureurs eux-mêmes en ont découvert l’existence fortuitement… alors qu’ils sont concernés au premier chef. Maintenant que ce projet européen (“Financial Data Access”) s’apprête à passer en trilogue, réunion entre la Commission, le Parlement et le Conseil européens, en vue d’une adoption courant 2025, ils tirent la sonnette d’alarme. Car ce texte prévoit que les compagnies se dévoilent comme jamais, en partageant les précieuses données clients dont elles disposent à des utilisateurs tiers, qui pourront à leur tour les exploiter pour proposer des produits d’assurance très personnalisés. Les acteurs traditionnels, en Allemagne comme en France, sont vent debout, pointant les risques de dérive. Explications du directeur général de la Macif, Jean-Philippe Dogneton.L’Express : Dans quel esprit la Commission européenne a-t-elle élaboré la réglementation FIDA ?Jean-Philippe Dogneton : Il y a une douzaine d’années, des représentants de la Commission européenne m’avaient auditionné sur le secteur de l’assurance. J’avais été surpris par deux de leurs questions : pourquoi y a-t-il aussi peu de concurrence en matière d’assurance ? Et pourquoi est-il aussi difficile, pour un nouvel acteur, de s’installer sur un territoire comme la France, par exemple ? J’y voyais là une erreur sur l’appréciation de la situation. En réalité, la France est un marché hyperconcurrentiel, où se côtoient assureurs traditionnels, mutualistes, banques, assurtech, acteurs internationaux. Sur le deuxième point, on sait bien que l’assurance est une matière technique, il y a de la jurisprudence, les règles diffèrent selon qu’il s’agisse de dommages corporels ou matériels, d’un pays à l’autre… De cette discussion, transparaissait déjà l’idée qu’il fallait permettre l’accès aux données des assurés le plus largement possible, pour faciliter la concurrence.Et puis, un jour de juin 2023, FIDA a émergé sur une proposition de la Commission européenne, fondée sur cette intention d’augmenter la transparence du secteur et de dynamiser la concurrence. Elle n’avait fait l’objet d’aucun échange, d’aucune concertation particulière. Son objectif est de permettre l’accès le plus libre possible aux données des consommateurs – certes, avec leur consentement. Sociétés d’assurance et banques fourniront ces données à des utilisateurs tiers qui vont, par des agrégations, pouvoir les exploiter avant de se mettre en contact avec le consommateur. La Commission part du principe que cette transparence va être vertueuse et permettre notamment à des tiers de formuler des offres qui seraient plus adaptées aux besoins du client.C’est-à-dire ?Justement, ce n’est pas clair. Cette agrégation doit-elle permettre de jouer sur le tarif, sur la qualité de l’offre, sur le niveau de couverture ? Que va-t-on vouloir comparer ? Que tirera-t-on comme substance de cet accès aux données ? En fait, rien n’est précisé, le texte ne raconte pas l’histoire. C’est simplement une forme de dogme.Donc, toutes ces données vont transiter par une plateforme, intermédiaire entre l’assureur et le tiers, qui pourra les exploiter. Qui va la gérer ?Ce n’est pas bien défini non plus, mais on comprend surtout qu’elle va coûter très cher en installation. Certaines estimations font état de 2,5 milliards d’euros. Sans compter les coûts d’une mise à jour régulière, puisque les données devront transiter en temps réel.Ces investissements considérables vont solliciter nos informaticiens, déjà très mobilisés par la lutte contre la cybercriminalité, et la mise en place de DORA, une autre législation européenne très exigeante en matière de sécurité des réseaux. Nos capacités ne sont pas illimitées. Et puis, ce serait un leurre de penser que le coût de ces plateformes ne se répercutera pas sur le consommateur. Il y a bien quelqu’un qui va devoir supporter l’installation et ses investissements, même si, théoriquement, il est prévu que l’assureur ou l’institution bancaire puisse être rétribué sur la communication de ces données. Une possibilité qui pose d’ailleurs d’autres questions.Quelles seront les données disponibles sur cette plateforme ?Le texte balaye large. Dans l’assurance dommages traditionnelle, par exemple, il y aura les garanties, les exclusions, la localisation, la qualité du bien… Le tout associé au nom du consommateur, qui aura donné son accord préalable. A partir de ces éléments, il sera possible pour un organisme extra-européen d’élaborer un tarif et de faire une proposition d’assurance. Le risque est que le devoir de conseil soit sacrifié au profit du seul paramètre du prix.Là où nous voyons un danger considérable, c’est que de nouveaux entrants pourront sélectionner les bons risques plutôt que les moins bons. Or, l’une des grandes forces de l’assurance en France, que l’on défend bec et ongles, c’est l’idée de mutualisation, notamment au travers du régime “catnat” [NDLR : le dispositif d’indemnisation des catastrophes naturelles] grâce auquel tout le monde paye un peu et tout le monde est assuré, quelle que soit la zone exposée. Si demain un nouvel acteur a accès à la qualité du risque, à l’historique, à la sinistralité antérieure, il lui suffira de choisir les bons profils, et de laisser les mauvais.Ce qui est paradoxal, c’est que l’Europe parle de mutualisation à l’échelle européenne des risques climatiques, mais que parallèlement, elle livre sur un plateau les instruments de la segmentation.Aucun garde-fou n’est prévu pour éviter cette dérive ?A force d’alerter Bruxelles, la Commission a indiqué qu’elle allait ouvrir un chantier de travail sur ce sujet. En même temps, elle laisse le projet FIDA prospérer. Vraisemblablement, il sera en place avant même que les conclusions de ce groupe de travail n’arrivent.Comment va-t-on contrôler l’accès à cette plateforme ?C’est l’un des sujets que nous pointons du doigt. L’un de nos combats est de demander que l’accès à ces données ne soit pas ouvert aux GAFAM qui pourraient sans entrave trouver les informations essentielles à la création d’une concurrence extraterritoriale. Notre avis est qu’il faudrait interdire les acteurs qui ne sont pas installés en Europe et qui ne sont pas régulés par le contrôleur européen de l’assurance. Le trilogue se profile entre le Conseil, la Commission et le Parlement et nous n’avons toujours pas été consultés.Les assureurs européens n’ont pas été entendus pour l’élaboration de cette réglementation ?Figurez-vous que c’est par hasard qu’un collaborateur de la Macif a pris connaissance de ce texte et en a porté l’information à la plupart des acteurs français, en 2023. Nous n’en avions pas eu connaissance auparavant !Il reste aussi largement inconnu des citoyens. Selon le sondage* que vous publiez, seul 1 Français sur 5 en a entendu parler et moins d’1 sur 10 dit savoir exactement de quoi il s’agit…Qui mieux que les consommateurs pour se prononcer ? C’est pour cette raison que nous avons interrogé les Français sur FIDA et la transmission des données. Le résultat est éloquent : 75 % d’entre eux refusent de communiquer ce qui est relatif à leurs contrats en santé [NDLR : ce domaine n’est pas concerné par FIDA], 65 % s’agissant des données financières associées à leurs contrats d’assurance et 64 % pour les données générales de profil personnel. Moins de 10 % accepteraient l’ouverture de leurs données d’assurance, et encore, à la condition que ce dispositif soit très encadré. Les sondés considèrent que les assureurs sont les mieux placés pour protéger leurs données.Les seuls qui se réjouissent sont les nouveaux entrants sur le marché de l’assurance ?Bien sûr, parce qu’il suffira de se baisser pour ramasser la donnée et faire une contre-proposition, qui sera certainement moins bonne en termes de qualité de conseil, avec un risque de discrimination.Espérez-vous une inflexion de la Commission européenne, plutôt encline dernièrement aux assouplissements en faveur des entreprises ?Nous demandons à la Commission de réaliser une véritable étude d’impact et de prendre conscience des enjeux de souveraineté et de concurrence. Le bon sens devrait inviter, a minima, à faire une pause et à ouvrir une concertation.* Sondage en ligne Kantar auprès de 1 000 personnes de 18 ans et plus, représentatives de la population française, du 30 décembre 2024 au 3 janvier 2025.
Source link : https://www.lexpress.fr/economie/entreprises/cette-nouvelle-reglementation-represente-un-danger-considerable-le-cri-dalarme-du-dg-de-la-macif-HKQA6UHVVNBTTAZS743UHUPFBU/
Author : Muriel Breiman
Publish date : 2025-02-06 15:00:00
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