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Droits de douane de Donald Trump : au Mexique, la diplomatie sur un fil de Claudia Sheinbaum

La présidente mexicaine Claudia Sheinbaum à Mexico, le 3 février 2025




En l’espace de quelques jours, la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum a connu un véritable ascenseur émotionnel. Le 29 janvier, à quelques jours de l’échéance fatidique du 1er février, jour où Donald Trump planifiait d’imposer ses droits de douane, elle affichait encore son optimisme, affirmant ne pas croire à leur mise en oeuvre. Ses espoirs n’étaient pas infondés : après tout, le président américain venait d’opérer un tel virage éclair sur le dossier colombien. En 2019, déjà, ses menaces de “fermer la frontière” si le Mexique ne mettait pas fin à l’immigration illégale ne s’étaient pas concrétisées.Cette fois, rien ne s’est passé comme prévu. Donald Trump a confirmé la mise en place de son arme protectionniste favorite… avant de faire volte-face deux jours plus tard, le 3 février, après un appel téléphonique, en accordant au Mexique un sursis d’un mois. Les barrières douanières n’ont finalement pas été érigées.Depuis le retour du président républicain à la Maison-Blanche, le Mexique a activé le mode “gestion de crise”. Et face à ses invectives sur les épineux sujets de l’immigration illégale et du trafic de drogue, Claudia Sheinbaum a joué la carte de l’apaisement. “Elle se montre ouverte au dialogue, mais surtout prudente : elle sait que cette relation peut exploser à tout moment”, observe Lila Abed, directrice du département mexicain au Wilson Center. Pour autant, pas question de perdre son sang-froid ou de montrer des signes de faiblesse devant ses concitoyens. La présidente l’a martelé à plusieurs reprises : sa stratégie sera la coopération, pas la subordination. “D’un côté, elle tente de rassurer Trump, mais de l’autre, elle adopte une position modérément nationaliste, en parlant de souveraineté non négociable, à destination de ses électeurs”, analyse Tony Payan, directeur du Mexico Center à la Rice University, à Houston.Dépendance économiqueContrairement au Canada, le Mexique ne s’est pas empressé de détailler ses mesures de représailles suite aux annonces du 1er février… Dans l’espoir de parvenir à un accord. “Le gouvernement mexicain n’a pas vraiment d’autre choix que de céder aux exigences de Trump vu sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis”, reconnait Tony Payan. Pour cause, le rapport de force entre les deux pays est déséquilibré : les Etats-Unis absorbent environ 80 % des exportations mexicaines. Les “maquiladoras” – des usines concentrées près de la frontière Nord et fabricant des produits destinés à l’export – sont un moteur de son économie. Les équipements électroniques et l’automobile sont en première ligne. Et les chaines de production entre les deux pays sont si imbriquées que certains produits traversent plusieurs fois la frontière avant l’assemblage final.Dans le scénario d’une guerre commerciale, le Mexique a beaucoup à perdre. Le PIB du pays serait immédiatement pénalisé par une taxe de 25 % sur les exportations – jusqu’à être amputé de 2 % en 2032, selon le Peterson Institute, par rapport au scénario de base. Mais les consommateurs américains en feraient aussi les frais, subissant notamment la flambée des prix de produits phares comme l’avocat, les tomates ou la téquila. Ces échanges agricoles représentent d’ailleurs un levier de négociation pour Mexico. “A présent, la priorité pour le Mexique est de mobiliser ses alliés aux États-Unis – les membres républicains du Congrès et les gouverneurs des Etats agricoles républicains dont le Mexique est le premier partenaire commercial – en leur disant qu’en cas de droits de douane, ils seront les premiers à être affectés par les mesures de représailles mexicaines”, conseille Arturo Sarukhan, ancien ambassadeur du Mexique aux États-Unis.Consciente de cette dépendance et des attentes de son interlocuteur, Claudia Sheinbaum s’exerce à l’art du compromis. Elle s’est engagée à déployer 10 000 gardes à sa frontière pour lutter contre le narcotrafic. Mais malgré sa bonne volonté, satisfaire les revendications de Trump sur l’immigration s’annonce une tâche ardue. “Son prédécesseur, Andres Manuel Lopez Obrador, avait essayé de lancer une politique de contrôle de l’immigration, en mobilisant notamment la Garde nationale initialement créée pour lutter contre les cartels de narcotrafic… sans résultats probants”, rappelle Sylvain Bellefontaine, économiste à l’Agence française de développement (AFD). Pas sûr, par ailleurs, que le gouvernement ait les moyens d’accueillir et aider les immigrés expulsés des Etats-Unis sur son territoire. “Lopez Obrador a laissé derrière lui une dette énorme et le financement de cet accueil sera difficile à assumer”, explique Tony Payan. A cela s’ajoute un autre effet insidieux de l’expulsion des immigrés : les transferts d’argent depuis les Etats-Unis vers le Mexique ont représenté plus de 3 % du PIB en 2024. Leur arrêt se répercuterait donc sur l’économie.Washington plutôt que PékinOutre l’immigration et le trafic de drogue, le Mexique se voit aussi reprocher ses liens commerciaux avec la Chine. Donald Trump a affirmé qu’il ne tolérerait pas que des usines chinoises s’implantent au Mexique et exportent des véhicules vers les Etats-Unis. Au Canada aussi, on s’agace. Fin 2024, le Premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, avait pointé du doigt les “produits bon marché chinois” qui transitent par le Mexique vers le reste du continent, appelant Mexico à choisir son camp.Cette controverse n’est pas prise à la légère par le gouvernement mexicain, car elle pourrait lui porter préjudice pour la révision, en 2026, de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (Aceum), qui a remplacé l’Alena en 2020. Le Mexique mise gros sur ce partenariat, mais il sait aussi que rien n’est acquis. D’autant plus que dans la course à l’amitié américaine, le Canada semble avoir pris une longueur d’avance. “A ce jour, aucun secrétaire du gouvernement mexicain n’est venu à Washington depuis l’entrée en fonction de l’équipe Sheinbaum. A l’inverse, le gouvernement canadien a activement cherché à établir une conversation avec ses homologues américains au cours des derniers mois”, observe Arturo Sarukhan. Autre signal peu rassurant : la suggestion de Doug Ford de conclure un accord séparé avec les Etats-Unis, et un autre avec le Mexique.En réponse à ces critiques, Claudia Sheinbaum, diaporama à l’appui, a dévoilé son “Plan Mexico” mi-janvier. Au programme : renforcement de l’industrie locale, investissements massifs et création d’emplois. Avec l’objectif de faire entrer le Mexique dans le top 10 des puissances mondiales. En réalité, le pays compte faire d’une pierre deux coups. “Après avoir profité de la guerre commerciale sino-américaine, le Mexique souhaite aujourd’hui soutenir son économie tout en répondant aux exigences de Trump : substituer les importations chinoises et augmenter le contenu local, notamment dans le secteur automobile”, explique Sylvain Bellefontaine, de l’AFD. Quelques obstacles risquent néanmoins de compliquer sa mise en œuvre. “La réalité économique du Mexique n’est pour l’instant pas en phase avec les ambitions de ce plan : les investisseurs ne sont souvent pas convaincus par les caractéristiques du pays en termes de disponibilité de l’énergie et de marché du travail”, relève Lila Abed.D’autres sujets pourraient s’inviter dans les discussions sur l’Aceum. “Le Mexique a actuellement une ‘dette en eau’ envers les Etats-Unis, notamment liée au partage du Rio Grande et du Rio Colorado. Trump risque d’utiliser cette question dans les négociations, estime Jean-Louis Martin, chercheur sur l’Amérique latine à l’Ifri. La question énergétique pourrait, elle aussi, représenter un moyen de pression, le Mexique étant en grande partie dépendant des importations de gaz américain”.Claudia Sheinbaum parviendra-t-elle à amadouer durablement Trump ? Sa stratégie fonctionnera-t-elle jusqu’en 2026 ? Difficile à dire. Le Mexique échappe pour l’instant aux foudres tarifaires américaines. Mais, comme le note Marios Carias, économiste pour l’Amérique du Nord chez Coface : “la confiance entre les deux pays est fragilisée. Cette épée de Damoclès restera potentiellement au-dessus du Mexique pendant tout le mandat de Trump”.



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Author : Tatiana Serova

Publish date : 2025-02-07 04:45:00

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