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“Les plus de 110 ans resteront rares, à moins que…” : les secrets de la longévité vus par S. Jay Olshansky

S. Jay Olshansky

Professeur à l’université de l’Illinois, à Chicago, le démographe S. Jay Olshansky est l’un des plus grands spécialistes mondiaux de la longévité. Le chercheur américain est notamment devenu célèbre pour sa bataille scientifique l’ayant opposé à James Vaupel, fondateur de l’Institut Max Planck de démographie (Allemagne) et longtemps figure de proue de ceux pour qui il serait possible d’étendre la durée de la vie humaine à l’infini. Pour Olshansky, le ralentissement de la croissance de l’espérance de vie dans les pays riches confirme au contraire l’existence d’une limite biologique, qui ne pourra être franchie que grâce à des innovations scientifiques majeures.Mais S. Jay Olshansky est aussi le cofondateur de Lapetus Solutions, une société qui propose de déterminer l’âge biologique des personnes à travers la reconnaissance faciale. Le scientifique sera l’un des invités vedettes du colloque “Bien vieillir : les promesses de la science” organisé par L’Express le 10 mars au théâtre du Rond-Point (Paris VIIIe). Les participants pourront ainsi mesurer leur âge biologique grâce à l’IA. “Le visage sert de biomarqueur, à partir duquel on peut mesurer un taux de vieillissement. On peut aussi savoir si la personne fume ou est un ancien fumeur, calculer son indice de masse corporelle, etc. Ces informations, complétées par quelques autres, comme les traitements en cours, le niveau d’éducation, le fait de vivre seul ou en couple, surtout pour les hommes, permettent de donner une estimation individuelle de l’espérance de vie”, précise Jay Olshansky. Mais qu’on se rassure : s’il existe une composante génétique au vieillissement que nous ne pouvons pas contrôler, il y a aussi selon le chercheur “de nombreux autres paramètres sur lesquels il est possible d’agir”.Le colloque Sciences et santé de L’Express aura lieu le 10 mars 2025 au théâtre du Rond-Point, à Paris.En amont de cet événement, S. Jay Olshansky nous explique pourquoi Donald Trump est sans doute un “super ager”, fait le point sur les recherches en cours et donne ses conseils pour maximiser ses chances d’atteindre un grand âge.L’Express : Vous avez évalué l’espérance de vie de Donald Trump. Le président américain a-t-il des chances d’atteindre un âge très élevé ?S. Jay Olshansky : En 2020, nous avions analysé les dossiers médicaux publics de Joe Biden et de Donald Trump. Nous avons calculé leur espérance de vie restante et leur durée de vie en bonne santé à partir des informations dont nous disposions. A l’époque, nous avions conclu que Joe Biden survivrait probablement à Donald Trump, qui présente des facteurs de risque tels que l’obésité, la sédentarité et une mauvaise alimentation. Lors de la dernière élection, nous n’avons pas pu entrer dans les détails, car cette fois, Donald Trump n’a pas révélé son dossier médical.En parallèle, mon point de vue sur ce type d’analyse a évolué : imaginez que nous ayons conclu qu’il pourrait décéder avant la fin de son mandat et que nous ayons rendu publique cette information. Cela aurait pu influencer certains votes. Or, de façon générale, je pense que nous ne devrions pas utiliser l’âge d’une personne comme critère principal pour savoir si elle peut accéder ou non à un emploi, que ce soit un poste d’enseignant, de pilote de ligne ou de président. C’est la porte ouverte à l’âgisme.Néanmoins, maintenant que l’élection est passée, que pouvez-vous nous dire de Donald Trump ?La définition d’un “super ager”, c’est quelqu’un qui passe 80 ans en gardant toutes ses fonctions cognitives. Certains pourraient conclure que ce n’est pas le cas de Trump, car ils sont en désaccord avec ses idées. Mais quand nous l’avions consulté, rien dans son dossier médical n’indiquait qu’il soit confronté à des problèmes cognitifs, et différents éléments suggéraient même qu’il pourrait effectivement être un super ager. Bien sûr, Trump n’est pas le même à 78 ans qu’à 40 ans, mais c’est le cas pour chacun d’entre nous. Et comme pour beaucoup de personnes d’un certain âge, il bénéficie d’un avantage, ce que nous appelons l’intelligence cristallisée : toute l’expérience tirée de sa vie passée, à laquelle les plus jeunes n’ont par définition pas accès. Pour toutes ces raisons, je préfère aujourd’hui me montrer prudent quant à l’utilisation politique des informations relatives à l’âge, chronologique ou biologique.Des septuagénaires comme Biden et Trump qui dirigent la première puissance mondiale… Est-ce un signal que l’espérance de vie va continuer à progresser ?Bien au contraire ! En 1990, mes collègues et moi-même avions prédit que l’espérance de vie de l’espèce humaine commencerait à ralentir au cours du XXIe siècle, et c’est exactement ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Non pas que nous ayons adopté des modes de vie malsains, mais parce que nous faisons à présent l’expérience de la force immuable, au moins pour le moment, du vieillissement biologique. A l’époque, beaucoup de scientifiques n’étaient pas d’accord, ils disaient qu’avec la poursuite des progrès médicaux, la plupart d’entre nous allaient vivre jusqu’à 100 ans.Mais nous savons maintenant que pour pousser encore davantage de personnes au-delà des limites actuelles, il faudrait agir sur le vieillissement lui-même. Soigner les gens, guérir une maladie puis une autre, ne suffit pas à ralentir ce processus inéluctable avec nos technologies actuelles. De ce fait, l’augmentation de l’espérance de vie ne peut que ralentir elle aussi. Nous l’avons montré dans un article paru en octobre dans la revue Nature Aging. Dans certains cas, il y a même eu un recul, comme aux Etats-Unis !Selon vous, l’espérance de vie atteint aujourd’hui une limite, et devrait plafonner aux alentours de 87 ans…En 1990, nous avions estimé ce plafond à 85 ans. Depuis, la mortalité des personnes âgées s’est un peu améliorée, ce qui nous a amenés à revoir notre estimation, à 87 ans effectivement – 88 à 90 ans pour les femmes, 84 ans pour les hommes. Mais attention : pour que la moyenne en population atteigne 87 ans, il faut qu’une part importante d’entre nous dépasse 90 ou 100 ans ! Le nombre de centenaires augmentera donc probablement de façon assez considérable à l’avenir. Les supercentenaires, de plus de 110 ans, eux, resteront rares, à moins que nous ne trouvions un moyen de ralentir le vieillissement biologique.Vous pensez donc gagner le célèbre pari que vous aviez fait avec le biologiste Steven Austad…Moi, non, mais mes descendants, oui ! Ils seront même très riches. En l’an 2000, mon ami Steven Austad a déclaré dans la presse que certains enfants nés cette année-là pourraient atteindre 150 ans. Je lui ai dit qu’il se trompait, mais il a continué à soutenir le contraire. Nous avons donc misé chacun 150 dollars et placé cet argent. Si quelqu’un né en 2000 est encore là en 2150, ses descendants empocheront le pactole. Mais je suis certains que ce sont les miens qui gagneront [Rires.].Ne pensez-vous pas que tout l’argent investi dans les recherches sur le vieillissement pourrait changer la donne ?Peut-être, mais en l’état, il n’y a aucun moyen de prédire les gains qui pourraient en découler. N’oubliez pas que nos corps ont de nombreux points faibles, et qu’ils ne sont vraiment pas faits pour vivre plus longtemps qu’ils ne vivent déjà aujourd’hui. Les cellules de notre cerveau ne se renouvellent pas. Si nous ne trouvons pas un moyen de ralentir le vieillissement de cet organe, rien ne nous permettra de vivre beaucoup plus longtemps qu’aujourd’hui. Notre colonne vertébrale finit par s’effriter avec l’âge – c’est le prix à payer pour notre bipédie.Nos genoux, nos hanches, ne sont pas vraiment faits pour être utilisés plus de huit ou neuf décennies sans être remplacés. Donc, à moins de trouver un moyen de ralentir le vieillissement et d’influencer simultanément tous les composants du corps, nous ne pourrons pas vraiment repousser les limites de la survie. Nous devons trouver une réponse fondamentalement différente. Suis-je optimiste quant à cette évolution ? Oui. Puis-je prédire que cela nous permettra de vivre beaucoup plus longtemps ? Non, et personne d’autre ne le peut.Quelles technologies vous semblent les plus prometteuses ?Des études sont actuellement menées sur les centenaires et les supercentenaires afin de déterminer les gènes qui leur permettent de vieillir plus lentement que le reste de la population. Ces travaux devraient nous apporter de nombreuses informations. Des scientifiques explorent aussi des traitements, comme la metformine, utilisée pour traiter le diabète, qui semble avoir un effet secondaire positif sur le vieillissement.Peut-être en ira-t-il de même avec les agonistes du GLP-1, comme Ozempic ou Wegovy, initialement développés eux aussi contre le diabète, et dont les indications ont été élargies à l’obésité. Mais nous ne pouvons pas prédire combien de temps de plus ils pourraient nous faire vivre. Si quelqu’un se risquait à ce genre de projection, dites-vous bien que cela n’aurait aucune base scientifique. Il s’agit par définition d’une hypothèse non vérifiable, puisqu’aucune expérience scientifique ne peut le démontrer.Qu’en est-il d’autres pistes explorées aujourd’hui par les chercheurs : la reprogrammation cellulaire, la rapamycine… ?Certaines relèvent de la science-fiction, d’autres sont plus sérieuses. Est-ce qu’il y a un potentiel ? Bien sûr. Nous savons que le vieillissement est intrinsèquement modifiable, de nombreuses expériences l’ont montré sur des animaux. Mais si nous réussissons seulement à prolonger la vie en réduisant la survenue des maladies, nous risquons de ne pas aimer ce que nous verrons : une période prolongée de fragilité et d’incapacité, associée à une perte des fonctions cognitives. C’est pourquoi on investit autant d’argent dans ces recherches sur le vieillissement.En attendant, comment faire pour espérer vivre le plus longtemps possible en bonne santé ?Puisqu’on ne peut pas choisir ses parents, ni ses caractéristiques génétiques, commencez par éviter tout ce qui raccourcit la vie. Nous savons tous de quoi il s’agit : le tabac, l’obésité, la sédentarité, les drogues, les expositions prolongées au soleil… A l’inverse, pour améliorer votre santé, votre longévité et votre qualité de vie, vous pouvez pratiquer une activité physique. C’est essentiel, un peu comme l’huile pour le moteur d’une voiture, elle va permettre à votre cerveau et à votre corps de mieux fonctionner. Vous n’êtes pas obligé de le faire, mais cela permet à votre voiture de mieux fonctionner pendant une période plus longue.Outre l’exercice physique et une bonne alimentation, il faut régulièrement consulter votre médecin de premier recours et vos spécialistes. Dans la génération de mes parents, la plupart d’entre eux ont perdu leurs dents avant d’avoir atteint mon âge. J’ai 70 ans. Nous avons trouvé le moyen de faire durer les dents pendant plus de 100 ans. Vous savez, pas nécessairement par une intervention magique, bien que nous ayons introduit du fluor dans l’eau, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles nous pouvons garder ces dents plus longtemps. Mais nous allons chez le dentiste tous les six mois.Aujourd’hui, la plupart d’entre nous qui survivent au-delà de 60 ans dans notre monde moderne profitent d’une sorte de temps fabriqué. C’est-à-dire un temps qui a été créé pour nous par nos médecins. Nous sommes rafistolés par nos médecins. Ils nous réparent. Vous devez donc consulter votre médecin et suivre ses conseils. Et s’il vous donne des médicaments pour traiter les maladies qui surviennent naturellement avec l’âge, prenez-les parce qu’ils sont efficaces. C’est la raison pour laquelle l’espérance de vie a augmenté.Gardez à l’esprit que nous ne nous dirigeons pas vers une limite d’espérance de vie pour notre espèce. Nous nous en éloignons. La limite naturelle de la longévité humaine se situe probablement quelque part entre 30 et 60 ans. Si l’on supprime toutes les interventions médicales, nous vivrions des dizaines d’années de moins qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, nous bénéficions donc d’un temps artificiel. Mais c’est comme étirer un élastique : plus nous vivons, plus il devient difficile de l’étirer davantage. Or c’est là où nous en sommes aujourd’hui dans notre monde moderne. Prenons garde à ce que l’on souhaite. Une vie plus longue sans une meilleure santé n’est probablement pas une bonne idée.



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Author : Stéphanie Benz, Thomas Mahler

Publish date : 2025-02-09 17:00:00

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