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Les recettes de la réussite économique de l’Espagne : “La mentalité est plus conquérante qu’en France”

Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez (à gauche) et le président français Emmanuel Macron lors d'un sommet euro-méditerranéen à Alicante (Espagne), le 9 décembre 2022

Lorsqu’en 2006, Emmanuel Deleau traverse la frontière franco-espagnole pour aller s’installer à Barcelone, le contraste se révèle saisissant. Des routes vétustes, et beaucoup de vieilles guimbardes croisées sur le chemin… “Nous avions l’impression de remonter 30 ans en arrière”, se souvient cet investisseur d’origine parisienne, cofondateur des Forces françaises de l’industrie et créateur, dans la ville catalane, de La Peña Business Club, une communauté d’entrepreneurs. Le secteur du BTP est alors en plein boom : les projets de rénovation et de construction se multiplient, tirant la croissance vers le haut. Quand vient la crise des subprimes, deux ans plus tard, la bulle immobilière explose. S’ensuit la crise des dettes souveraines qui étouffera le pays jusqu’en 2015.Près de 20 ans plus tard, après avoir souffert comme la Grèce ou le Portugal, l’Espagne renaît. Au point que certains la surnomment “la Floride de l’Europe” et Madrid, sa capitale, “le Miami du Vieux Continent”. Les liaisons routières sont dans un excellent état et feraient pâlir plus d’une portion française. Le tout avec peu de péages. Des aéroports couvrent tout le territoire, tandis que le pays possède l’un des meilleurs réseaux ferroviaires en Europe. “Il fut un temps où les dirigeants espagnols étaient très critiqués, beaucoup estimant qu’ils dépensaient l’argent de manière inconsidérée. Lorsqu’ils ont rejoint la Communauté européenne, ils ont su parfaitement utiliser les fonds. L’Espagne dispose aujourd’hui de l’une des meilleures infrastructures au monde”, constate Myriam Fréval, conseillère au Commerce extérieur de la France et fondatrice de la société d’investissement immobilier Athol.Surtout, l’économie espagnole a retrouvé sa vigueur d’antan. En 2024, le Produit intérieur brut (PIB) a bondi de 3,2 % – la hausse la plus importante dans la zone euro -, un niveau proche de son étiage d’avant-crise financière. Loin, très loin des 1,1 % arrachés au forceps par la France, grâce notamment aux Jeux olympiques. “L’afflux massif de fonds européens de relance a été déterminant. Avec un PIB par habitant relativement faible par rapport à des pays comme la France, l’Espagne bénéficie d’une part plus importante de subventions, équivalente à environ 11 % de son produit intérieur”, pointe Jakob Suwalski, analyste pour l’Espagne à l’agence de notation Scope Ratings.La locomotive du tourismeCe bond en avant repose également sur les deux moteurs de son économie : les exportations et le tourisme. Après le Covid, les estivants internationaux ont afflué. “Plusieurs facteurs positifs sont à l’œuvre : une offre diversifiée – du tourisme low-cost au luxe, servis par une culture et une gastronomie riches -, une bonne compétitivité logistique et une qualité de service élevée. L’Espagne bénéficie aussi de la conjoncture géopolitique : sa stabilité rassure face aux tensions au Moyen-Orient. Et la faiblesse de l’euro favorise l’afflux de touristes américains”, détaille Alicia Coronil Jónsson, cheffe économiste de Singular Bank. En 2023, le pays a accueilli 94 millions de voyageurs, talonnant la France, première destination mondiale avec ses 98 millions de visiteurs. En revanche, l’Espagne a dégagé 126 milliards d’euros de recettes touristiques cette même année, soit près du double de son voisin tricolore.Un autre élément, moins commenté, a joué : “Dans les années 2010, les entreprises espagnoles avaient fortement augmenté leurs marges : en raison du chômage qui atteignait 26 %, les discussions sur les salaires leur étaient beaucoup plus favorables. Depuis début 2023, elles ont dégonflé ce coussin, ce qui leur a permis d’augmenter les salaires réels de leurs employés, alimentant ainsi la consommation”, développe Clément Bortoli, responsable de la division synthèse conjoncturelle à l’Insee. Qui dit croissance, dit hausse des recettes. L’Espagne affiche aujourd’hui un déficit public à 3,5 % du PIB, contre 5,5 % en France. Pour autant, “malgré la forte progression des recettes, le déficit ne se réduit que modérément, en raison de dépenses sociales très élevées. La situation n’est donc pas complètement positive”, nuance Jakob Suwalski.Une immigration sans tensionPour parvenir à ces bons résultats, les entreprises s’appuient largement sur l’immigration. Au cours des trois dernières années, l’Espagne a accueilli plus de 700 000 nouveaux arrivants, dont une majorité en provenance d’Amérique latine. Sur le plan démographique, l’espérance de vie y est la deuxième plus élevée de la planète. Dans les prochaines années, elle pourrait même dépasser celles des indétrônables Japonais. Une bonne et une mauvaise nouvelle, car dans le même temps le taux de fécondité est à un niveau historiquement bas. La main-d’œuvre étrangère est donc cruciale pour le fonctionnement du pays. “L’immigration n’est pas un sujet de tension comme en France : avec une croissance économique soutenue et un besoin de main-d’œuvre, elle est perçue comme une nécessité. La langue et la culture communes des immigrés sud-américains facilitent aussi leur intégration”, assure Sébastien Alvarez, chargé du développement international à la Chambre de commerce franco-espagnole.Les chefs d’entreprise disposent aussi de davantage de flexibilité pour gérer leurs effectifs. “En France, on a le sentiment que plus la durée pour se séparer d’un salarié est longue, plus cela devient compliqué. En Espagne, le délai est de 15 jours, ce qui rend les licenciements plus faciles. L’objectif n’est pas de renvoyer, mais d’embaucher plus facilement ensuite”, explique Bertrand Rigaud, vice-président de la Chambre de commerce et cofondateur de la plateforme de location Rentall & Partners.L’instabilité politique n’effraie personneReste la question politique. Si la France n’a connu qu’un mois sans nouveau budget, l’Espagne vit cette situation depuis plus de deux ans. Le Premier ministre Pedro Sanchez ne dispose pas d’une majorité et le Parlement est très fragmenté. Ce qui ne l’empêche pas de faire passer des lois importantes. En 2023, l’âge de départ à la retraite a ainsi été relevé à 67 ans, entraînant peu de manifestations dans les rues. “La mentalité espagnole est beaucoup plus conquérante. Il y règne un optimisme bien plus marqué qu’en France. On vit une période assez inédite : en Espagne, les partis ont toujours su trouver des accords pour gouverner. Il n’y a pas de traumatisme, ce qui contribue à un meilleur état d’esprit”, affirme François-Xavier Lacroix, senior vice-président de Danone Business Services, installé dans le pays depuis 2017. “L’Espagne est plus habituée à naviguer dans des périodes d’instabilité politique ou budgétaire, abonde Thomas Gillet, directeur des notations souveraines et secteur public chez Scope Ratings. Les ménages, les entreprises et les autres acteurs savent s’adapter à l’incertitude.”Composé à 99 % de TPE et de PME, l’écosystème espagnol est toujours en mouvement. “C’est est un pays qui a pris du poids et apparaît aujourd’hui comme un modèle face à la France. On ne le réalise pas toujours, mais les Espagnols ont un regard attentif sur ce qu’il se passe de l’autre côté des Pyrénées”, décrit François-Xavier Lacroix. “Les Espagnols font preuve d’une réactivité remarquable : ils observent ce qui se fait à l’étranger et le reproduisent en mieux”, complète Myriam Fréval.Un succès qui fait de l’œil aux entreprises françaises. Début février, Saint-Gobain a annoncé un investissement de 40 millions d’euros pour agrandir son usine située près de Madrid. L’industriel n’est pas le seul à lorgner de l’autre côté de la frontière. “Nous sommes submergés de demandes de sociétés qui souhaitent s’y installer”, assure Sébastien Alvarez, de la CCI France-Espagne. Une dynamique qui ne devrait pas faiblir. Les prévisionnistes tablent sur une croissance de 2,5 % en 2025. De quoi donner des envies d’ailleurs.



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Author : Thibault Marotte

Publish date : 2025-02-09 11:00:00

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