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Les néolocuteurs vont-ils sauver les langues régionales ?

"Enseigner l’histoire-géo en basque, c'est non !", déclare Alba Ventura, tout en se disant favorable à la transmission des langues régionales. Or, l'un ne va pas sans l'autre...

Et si, demain ou après-demain, il n’y avait quasiment plus de locuteurs natifs du breton, du corse ou de l’auvergnat ? Et si, néanmoins, ces langues ne disparaissaient pas complètement, mais étaient parlées quasi-exclusivement par des “néolocuteurs”, autrement dit des personnes qui les auraient apprises après le français, de manière souvent appauvrie ? C’est là une idée un peu dérangeante, bien sûr, mais, quand on est comme moi viscéralement attaché à les préserver, il convient de l’aborder de front si l’on ne veut pas se bercer d’illusions.Qu’il existe des écarts entre la langue parlée par ceux qui l’ont connue dès l’enfance et celle des “néo” est en soi inévitable. Ceux d’entre vous qui ont acquis un autre idiome, quel qu’il soit, le savent : il est très difficile, voire impossible, d’accéder au niveau d’un “natif”. Et cela est encore plus compliqué lorsqu’il s’agit d’une langue régionale, que l’on n’entend quasiment plus dans les cafés, les commerces et les rues de nos villes – à la notable exception des outre-mer. Vous souhaitez perfectionner votre anglais ? Il vous suffit de passer quelque temps à Londres ou à New York : vous serez aussitôt plongé dans un bain linguistique anglophone. Vous souhaitez apprendre l’alsacien ou le provençal ? Inutile de vous rendre à Strasbourg ou à Marseille : le français est désormais partout.Cette situation entraîne des conséquences majeures sur la langue des apprenants, comme le montrent ces exemples concrets analysés par l’universitaire Jean Sibille à propos de l’occitan languedocien (1).VOUS SOUHAITEZ RECEVOIR AUTOMATIQUEMENT CETTE INFOLETTRE ? >> Cliquez ici– L’imparfait du subjonctif, d’usage courant en oc – y compris à l’oral – est “oublié”, car ce temps a disparu en français.- En français, on utilise “vous” aussi bien pour s’adresser à une seule personne que l’on vouvoie qu’à un groupe de personnes. Tel n’est pas le cas en oc, où il existe deux pronoms personnels différents pour ces deux situations, vos et vosautres. Las ! Les “néo”, eux, les confondent le plus souvent.- Leur accent est également très éloigné de celui des natifs et tend à se calquer sur la prononciation du français standard, y compris pour la lettre r. Et pourtant ! Mieux vaut ne pas confondre marrit, avec deux “r” fortement roulés, qui signifie “méchant”, et marit avec un seul “r”, qui signifie “époux”. A moins bien sûr que l’on ne veuille faire allusion à un conjoint violent…- Un autre facteur, apparemment paradoxal, contribue à différencier la langue des nouveaux apprenants de celle des “anciens” : la volonté de s’éloigner le plus possible du français. Par souci de “pureté”, les premiers ont en effet tendance à privilégier l’emploi de mots rares, souvent disparus de l’usage, mais qui leur paraissent plus “authentiques”. Pour dire “monsieur”, un locuteur natif emploie moussu ? Le nouveau locuteur préfère sénher. Plutôt que d’employer trobar (trouver), il opte pour trapar. Idem pour ibronha (ivrogne), délaissé au profit d’embriac. Il arrive même que certains reprennent un locuteur naturel en lui affirmant “On ne dit pas comme ça !”. Un comble…On peut moquer ou critiquer ces dérives, mais il faut reconnaître qu’il est bien difficile de relancer une langue en déclin. En témoigne l’exemple de l’Irlande, où le gaélique dispose d’un statut officiel depuis l’indépendance, en 1921. Et pourtant, pour des raisons que j’ai exposées dans un autre article, la transmission familiale y est devenue minoritaire. En revanche, une forme d’”irlandais urbain moderne” est en train d’émerger sur l’île, notamment dans les grandes agglomérations. Un irlandais appris comme une seconde langue, très fortement calqué sur l’anglais, aussi bien dans le lexique que dans la syntaxe. Résultat ? Il y a de moins en moins de compréhension entre ce gaélique des villes, pratiqué par des populations généralement aisées et bien éduquées, et celui des locuteurs natifs, vivant surtout à la campagne. Problème supplémentaire : en raison de leur capital social et culturel, ces néolocuteurs deviennent souvent enseignants, auteurs ou journalistes. Et comme ils représentent environ les deux tiers des pratiquants, ils sont aujourd’hui à même d’imposer leur manière de parler comme la nouvelle norme (voir la vidéo passionnante du Youtubeur Linguisticae dans la rubrique “A regarder”).En ira-t-il de même en France ? L’hypothèse est tout à fait plausible. Et à ceux qui s’alarment d’une telle évolution, on doit rappeler qu’il s’agit là d’un scénario… optimiste dans la mesure où il contredit le pronostic formulé par l’Unesco : une disparition totale de toutes les langues minoritaires de métropole d’ici à la fin du siècle. Une extinction qui, hélas, reste aujourd’hui l’hypothèse la plus probable dans la mesure où, contrairement à l’Irlande où le gaélique bénéficie du soutien officiel des pouvoirs publics, l’Etat, chez nous, ne se préoccupe pas vraiment du sujet. Et c’est une litote…(1) L’occitan des néolocuteurs : entre francisation et démarcation, par Jean Sibille. Dans Entre francisation et démarcation : usages hérités et usages renaissantistes des langues régionales de France, sous la direction de Mercedes Banegas Saorin et Jean Sibille. Editions L’Harmattan.A lire – Du côté de la langue françaiseQui crée les nouveaux mots ?Les dictionnaires ne sont pas les seuls à détenir un droit de vie et de mort sur le vocabulaire. En réalité, le Larousse, le Robert et les autres se contentent, pour l’essentiel, d’observer l’usage et de l’enregistrer (avec une petite marge de manœuvre tout de même).Les vraies causes de la domination de l’anglaisContrairement à ce qu’on lit parfois, la domination de l’anglais n’a rien à voir avec ses supposées qualités “intrinsèques” ni avec sa supposée “facilité”. “L’orthographe de l’anglais n’est pas “transparente”, c’est-à-dire qu’elle ne correspond pas en tout point à sa prononciation”, rappelle la linguiste Margaret Vien. Son succès, l’anglais le doit en réalité à la puissance géopolitique, économique et culturelle actuelle des Etats-Unis. Et Margaret Vien de conclure : “Si aux Etats-Unis on parlait serbo-croate, c’est le serbo-croate qui serait aujourd’hui la langue que tout le monde voudrait savoir parler.”Participez au colloque “Le français en marche et en marge(s)”Le colloque annuel, de l’AFLS (Association for french language studies) aura lieu à Bruxelles du 1er au 3 juillet. Il s’intéressera à la variation géographique du français et se tiendra notamment en présence des linguistes Mathieu Avanzi (Neuchâtel), Jean-Marie Klinkenberg (Liège) et Agnès Steuckardt (Montpellier).A lire – Du côté des langues minoritairesPrénom Fañch : les députés remontent au créneau“Sont autorisés les signes diacritiques des langues régionales de la France figurant dans les prénoms et les noms des personnes dénommées dans les actes d’état civil.” Tel est l’article unique de la proposition de loi déposée le 4 février à l’Assemblée nationale pour autoriser les “signes diacritiques” issus des langues minoritaires de France dans les prénoms et noms de l’état-civil. Un texte qui concerne des prénoms tels Fañch (breton), Martí (catalan), Artús (occitan) ou Iñaki (basque). Signez la pétition pour les littératures en langues régionales à l’écoleEt si tous les élèves de France apprenaient qu’il a existé et qu’il existe encore des œuvres rédigées en occitan, en basque, en breton, en alsacien, en picard ou en créole martiniquais ? Et si cette réalité longtemps niée se faisait une place dans les programmes scolaires afin de rendre leur dignité à ces langues souvent méprisées ? Tel est l’objectif de cette pétition qui a récemment reçu le soutien d’Amin Maalouf, le secrétaire perpétuel de l’Académie française. Signez-la à votre tour afin que cette revendication soit acceptée par le ministère de l’Education nationale.Le basque et le catalan entrent à la SorbonneL’université Sorbonne-Nouvelle proposera prochainement une formation de basque, de catalan et de galicien. Ces matières seront intégrées à la nouvelle discipline intitulée “Langues et cultures régionales de la péninsule Ibérique : basque, catalan et galicien”. Ce cursus permet de se préparer aux concours du Capes et de l’agrégation.A écouterEn quoi le français du Québec est-il particulier ?Telle est la question à laquelle répond le chercheur Wim Remysen, dans ce nouveau balado consacré à la francophonie lancé par nos confrères de Courrier international. Il a été baptisé Sentinelles.A regarderComment l’Irlande est en train de perdre sa langue, par LinguisticaeLe Youtubeur Linguisticae explique ici pourquoi, malgré un statut de langue officielle depuis un siècle, l’Irlande n’est pas parvenue à imposer le gaélique à la place de l’anglais.



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Author : Michel Feltin-Palas

Publish date : 2025-02-11 06:15:00

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