En feuilletant l’album de famille de l’Union européenne, même les photos récentes ont pris un solide coup de vieux. Prenons 2014, l’année de l’annexion de la Crimée par Vladimir Poutine, prélude à sa guerre d’invasion de 2022. La France et l’Allemagne étaient les piliers évidents de l’UE. Onze ans plus tard, leurs dirigeants respectifs sont à bout de souffle. L’influence française est abîmée par la crise politique et le spectre de son décrochage, l’Allemagne est déstabilisée par la montée des extrêmes et la remise en question de son modèle économique.La Pologne, elle, gagne en puissance à tous égards. Politiquement, avec un Premier ministre compétent et pro-européen, Donald Tusk, qui a expérience et autorité dans les institutions de Bruxelles. Economiquement, avec une croissance qui dépasse la moyenne européenne depuis plus de vingt ans. Militairement, la Pologne s’apprête à devenir la première puissance militaire conventionnelle du continent.En 2014, les forces polonaises étaient les neuvièmes de l’Otan. Elles sont aujourd’hui au troisième rang après les Etats-Unis et la Turquie. Leurs effectifs de militaires d’active ont doublé et dépassent 200 000 hommes – autant que la France et plus que l’Allemagne. Le budget de défense a triplé pour atteindre 35 milliards de dollars, devant l’Italie – en Europe, seules la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne dépensent davantage. En pourcentage du PIB, la Pologne est le seul pays de l’Otan à dépasser les 4 % (Tusk annonce 4,7 % pour 2025).La Pologne, si attachée à la sécurité américaine, peut devenir le nouveau point d’ancrage d’une Europe menacée à la fois par l’agression de la Russie et par l’incertitude de l’engagement américain dans l’Otan. Certes, la France et l’Allemagne restent les forces motrices et financent l’essentiel du budget européen. Mais dans le “monde cassé”, selon l’expression de la revue Grand Continent, la Pologne porte l’espoir de cette “souveraineté européenne” vacillante, martelée par Emmanuel Macron et devenue plus nécessaire que jamais.”Moment polonais”C’est “le moment polonais” décrit avec une expertise et une clarté réjouissantes par le diplomate Pierre Buhler, qui fut ambassadeur à Varsovie de 2012 à 2016. Son livre, Pologne, histoire d’une ambition (Tallandier) est plus qu’un essai politique et historique, la biographie d’un pays qu’il semble aimer comme une personne et dont il raconte à la fois les trous noirs et l’étonnante capacité de résistance au fil des siècles. La phrase de Victor Hugo que cite l’auteur semble perpétuelle, tant elle décrit justement le rôle actuel de la France et de la Pologne face aux guerres impérialistes, hégémoniques, commerciales et idéologiques que mènent les Etats-Unis, la Russie et la Chine. En 1846, devant la Chambre des Pairs, Hugo célébrait la France et la Pologne comme “deux sœurs qui ont lutté ensemble pour la civilisation européenne”, en distinguant leurs rôles : “le peuple français qui en a été le missionnaire, le peuple polonais en étant le chevalier”. En 2024, la Pologne sait mieux que d’autres, pour avoir été le martyr de ses voisins à plusieurs reprises, ce que Vladimir Poutine a en tête lorsqu’il compare la Russie à un océan sans frontières, destiné à s’agrandir en fonction de ce qu’il décide devoir faire partie de sa “zone d’influence”.Depuis le 1er janvier, la Pologne a pris la présidence semestrielle du Conseil de l’Union européenne et son thème principal, sans surprise, est la sécurité. Construire “une Europe plus souveraine” était celui de la présidence française, en 2022. Or l’inventeur de la “souveraineté européenne”, c’est lui, Clément Beaune. Ancien conseiller d’Emmanuel Macron à Bercy et à l’Elysée, ancien ministre de l’Europe, il avait proposé ce concept à Emmanuel Macron qui en a fait le cœur de son fameux discours de la Sorbonne de 2017. Beaucoup de ceux qui avaient rejeté l’idée en haussant les épaules la revendiquent désormais comme une évidence. Les réflexions et souvenirs savoureux rapportés dans Je dirai malgré tout que la politique est belle (Stock) rappellent ce rôle “missionnaire” de la France en Europe dont celui qui fut le préféré du président Macron, puis banni par lui, reste largement porteur.”Les deux sœurs” sauront-elles résister au monde cassé ? Chacune d’elles doit affronter une élection présidentielle décisive. La Pologne, les 18 mai et 1er juin. La France, on ne sait quand. Dans les deux cas, l’extrême droite est prête.
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Author : Marion Van Renterghem
Publish date : 2025-02-12 11:00:00
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