C’est la faute des jeux vidéo, épisode 150. Dans l’affaire du meurtre de la petite Louise, 11 ans, dont le corps a été retrouvé samedi 8 février dans un bois de l’Essonne, à Longjumeau, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a fait une sortie remarquée. “Peut-on tuer un enfant de 11 ans parce qu’on a perdu, été contrarié, frustré à force d’addiction à des jeux vidéo ? Ce qui montre bien que les écrans, les jeux vidéo, il faut y faire très attention”, a-t-il déclaré ce mercredi 12 février au micro de France Inter. Le ministre évoquait ainsi une potentielle explication du passage à l’acte du principal suspect, Owen L. Âgé de 23 ans, cet homme qui présente des marques de griffures aux bras et dont l’ADN a été retrouvé sur les mains de la jeune fille, a reconnu les faits, a annoncé le procureur de la République.Le ministre de l’Intérieur interprète ainsi une piste avancée par les enquêteurs : le jeune homme aurait eu une violente colère à l’issue d’une défaite au jeu en ligne Fortnite et serait sorti pour se calmer, avant de croiser Louise. “Cela repose à ce stade sur des déclarations qu’il faut prendre avec prudence, on ne peut pas s’avancer encore sur le mobile”, nuance néanmoins une source proche du dossier auprès du Parisien.Breivik, Merah, émeutes : le bouc émissaireLa rengaine n’est pas nouvelle. A chaque événement violent qui secoue l’actualité, les jeux vidéo finissent tôt ou tard par figurer sur le banc des accusés. Les exemples sont légion : de Breivik à Merah en passant par les attentats du 13 novembre 2015, quand Nicolas Sarkozy s’en était pris à “la violence inouïe des jeux vidéo”, ou encore après les émeutes consécutives à la mort de Nahel, quand Emmanuel Macron avait estimé que les réseaux sociaux et les jeux vidéo “intoxiquent” les jeunes…Comme à chaque fois, il convient de rappeler que l’affirmation selon laquelle les jeux vidéo peuvent pousser au meurtre n’est démontrée par aucune étude scientifique et qu’il s’agit, plutôt, d’une tentative de détourner le sujet des vraies problématiques, soit les facteurs de vulnérabilité comme les violences intrafamiliales, les inégalités éducatives, la pauvreté, le manque de moyen de la psychiatrie en France, voire le tabou sur ces maladies, etc.Les faits scientifiques sont têtusOn peut d’abord rappeler que 94 % des 15-17 ans jouent à des jeux vidéo, selon une étude de Médiametrie pour le Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs. Bien sûr, parmi les joueurs de jeux vidéo, il y a des personnes violentes, ou atteintes de troubles mentaux voire de pathologies psychiatriques. Comme parmi les mangeurs de pâte ou les joueurs de tennis. Mais corrélation ne fait pas causalité, comme il devient parfois lassant, voire fatigant, de sans cesse l’expliquer. Ainsi, deux phénomènes peuvent être corrélés, parce qu’on les observe au même moment ou dans une même population. Mais cela ne signifie pas qu’il existe une relation de cause à effet, autrement dit qu’un phénomène explique ou provoque l’autre. Et si une corrélation s’observe, une causalité se démontre, notamment grâce à des comparaisons expérimentales, comme une étude scientifique étudiant plusieurs groupes exposés à un même facteur que l’on fait varier.A propos d’études scientifiques, Séverine Erhel, maître de conférences en psychologie cognitive à l’université Rennes II et chroniqueuse à L’Express, a publié un article fort à propos en 2024, après les déclarations d’Emmanuel Macron. Elle y détaille l’état de la science sur la question de la violence et des jeux vidéo. L’étude sur laquelle se base parfois certains pour démonter l’existence d’un potentiel lien entre jeux vidéo et violence est la célèbre méta analyse conduite par le chercheur américain Craig Alan Anderson parue en 2010, selon laquelle il existe des associations significatives entre l’usage des jeux vidéo et les pensées, les sentiments et les comportements agressifs rapportés par les participants. D’une part, ces travaux démontrent une corrélation et non une causalité. Et d’autre part, leurs conclusions ont été en partie invalidées en 2017, quand d’autres chercheurs américains ont repris les données d’Anderson pour effectuer une nouvelle analyse. Conclusion ? Les associations entre jeux vidéo et comportements agressifs ont été largement surestimées et celles établies entre la pratique des jeux vidéo et les sentiments, pensées et comportements agressifs sont en réalité très faibles.On pourrait également citer deux études publiées en 2020 et en 2022 qui ont suivi plusieurs centaines d’adolescents de 10 à 13 ans, parfois pendant des périodes allant jusqu’à 11 ans, soit après l’entrée à l’âge adulte, afin d’observer les effets à long terme de pratique légère, modérée ou intensive de jeux vidéo violents. Combinés, les résultats de ces études suggèrent que les comportements violents des adolescents résultent de l’interaction d’un certain nombre de vulnérabilités individuelles, familiales, économiques et sociales et que l’impact des jeux vidéo violents sur les comportements agressifs dans la vie réelle est très faible.D’autres recherches montrent également que les jeux vidéo peuvent avoir des effets bénéfiques, notamment parce qu’ils peuvent servir à créer du lien social. Il existe ainsi une association positive entre pratique du jeu vidéo et santé mentale quand la pratique est raisonnée.”L’affaire du meurtre de Louise remet également sur le devant de la scène la question l’addiction aux jeux vidéo”, rappelle Séverine Erhel. D’abord, on ne parle pas d’addiction, mais d’usage problématique, car le terme addiction est spécifique aux substances addictives. Il ne fait pas consensus dans la communauté scientifique car les critères de l’addiction ne sont pas tous pertinents dans le trouble de l’usage du jeux video. Les usages problématiques, car excessifs et compulsifs, sont estimés à 1 % des usagers français dans une étude parue en 2023.”Ce que l’on sait en revanche, c’est qu’un cortège de vulnérabilités individuelles (santé mentale, anxiété, dépression, psychopathologie, troubles de la personnalité, TOC, situation familiale difficile, antécédents de violences subies, etc.) peuvent pousser certaines personnes à se réfugier dans les jeux vidéo afin de tenter de se distraire de leurs problèmes avec un usage qui, parfois, devient incontrôlable, conflictuel et impactent négativement le fonctionnement de l’individu au quotidien. Et si les problèmes de ces personnes ne sont pas pris en charge, les difficultés préexistantes peuvent s’accentuer et altérer encore plus la qualité de leur santé mentale “… Et aboutir potentiellement à des actes dramatiques.
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Author : Victor Garcia
Publish date : 2025-02-12 17:36:04
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Meurtre de Louise : la faute aux jeux vidéo, vraiment ?
![Une photographie de Louise accompagnée de bouquets déposées devant son collège d'Epinay-sur6orge(Essonne) le 8 février 2025](https://www.mondialnews.com/wp-content/uploads/2025/02/1739382132_Meurtre-de-Louise-la-faute-aux-jeux-video-vraiment.jpg)