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EXCLUSIF. Quand le patron de Google visite l’Institut Curie : “Cela donne du sens à ce que nous faisons”

Sundar Pichai, le PDG du groupe Google, a visité l'Institut Curie avec lequel sa société a noué un partenariat le 11 février 2025

Berline sombre, gardes du corps, entrée dérobée, organisation millimétrée. Ce mardi 11 février, ce n’est pas un chef d’Etat qui s’apprête à découvrir l’Institut Curie, mais c’est tout comme. De passage à Paris pour le sommet sur l’intelligence artificielle, Sundar Pichai, le grand patron de Google, un des maîtres du monde de la tech, fait un détour par la montagne Sainte-Geneviève, à l’endroit même où Marie Curie créa son institut pour appliquer les résultats de ses recherches scientifiques au traitement des malades du cancer. Il est attendu au troisième étage de l’hôpital, là où arrivent toutes les biopsies et les tumeurs extraites des malades pour être analysées. Avec cette visite, que L’Express a pu suivre en exclusivité, il s’agit de concrétiser un partenariat, inédit en France, entre le géant du numérique et le centre de lutte contre le cancer. L’ambition : accélérer la recherche contre certaines tumeurs difficiles à traiter, pour sauver des malades aujourd’hui souvent condamnés.L’enjeu est de taille pour les Français comme pour les Américains – et explique la venue de Sundar Pichai lui-même, pour la deuxième fois en quelques mois, malgré un emploi du temps surchargé par l’actualité du sommet. “Nous avons ici des quantités invraisemblables de données, issues de l’analyse des tissus, de l’imagerie, de la médecine nucléaire, de l’analyse génomique et d’autres technologies. L’intelligence artificielle va nous aider à les combiner, afin de mieux comprendre les tumeurs”, espère Anne Vincent-Salomon, cheffe du service d’”anapath” (anatomopathologie, qui étudie les prélèvements biologiques effectués sur les malades) de Curie et directrice de l’Institut des cancers des femmes. Pour le dirigeant de Google, au-delà du défi scientifique, il s’agit avant tout d’illustrer les bénéfices de ses technologies : “Voir ces applications concrètes de l’IA, tout le potentiel qu’elle peut apporter, donne beaucoup de sens à tout ce que nous faisons”, se réjouit Sundar Pichai.Décrypter l’hétérogénéité des tumeursLa visite démarre dans la salle de macroscopie. Ici arrivent les prélèvements de biopsies ou de pièces opératoires qui vont être congelées puis fixées dans le formol avant d’être découpées en tranches de plus en plus fines, jusqu’au micron. Déposées sur des lames de verre, colorées, elles seront ensuite scannées et digitalisées. Dans ce service de pointe, les ordinateurs ont remplacé depuis longtemps les microscopes, mais l’idée reste la même : identifier les anomalies qui signent la présence d’une lésion maligne. Une tâche délicate et hyperspécialisée, rouage méconnu mais essentiel dans le parcours de soins des malades. Anne Vincent-Salomon montre au dirigeant de Google un flacon : une biopsie d’une grosseur extraite de l’utérus d’une patiente. Peut-être un fibrome, bénin. Ou un sarcome, redoutable. “Il y a des zones grises, cela peut se révéler difficile à déterminer. Nous voulons développer des outils pour faciliter l’identification de ces cancers rares”, détaille-t-elle.Loin d’être des masses homogènes, les tumeurs sont composées d’une multitude de cellules très variées. Cette hétérogénéité, parfois difficile à appréhender pour les médecins, peut compliquer le diagnostic. Elle se trouve souvent aussi à l’origine des rechutes, car certaines de ces cellules peuvent s’avérer résistantes aux traitements. Peu à peu, subrepticement, ce sont elles qui vont relancer la maladie. Pour mieux comprendre ce qui se joue dans ces amas de chairs, une nouvelle technologie se trouve en plein essor dans le monde de la cancérologie : l’analyse “en cellule unique”. Pour une lésion donnée, les spécialistes isolent 20 000 à 30 000 cellules. Ils séquencent le génome de chacune d’entre elles, pour identifier leurs spécificités. “Cela génère des masses d’information gigantesques. C’est là où nous avons besoin de vous”, lance Anne Vincent-Salomon à Sundar Pichai.Comprendre les interactions entre les cellulesSi le PDG de Google et d’Alphabet avoue volontiers à ses hôtes que son expertise réside davantage dans l’informatique que dans la biologie, il n’en demande pas moins à voir la dernière technique de pointe déployée à Curie : la transcriptomique spatiale. Un nom aussi compliqué que la technologie est complexe, puisqu’il s’agit de combiner les informations tirées de l’analyse en cellule unique avec la localisation de chacune de ces cellules dans la tumeur. “C’est un outil incroyable, qui permet de comprendre comment les différentes familles de cellules interagissent entre elles”, résume Anne Vincent-Salomon. L’analyse peut même se faire dans la durée, pour suivre les réactions de tout ce microcosme aux traitements.”Cette technique sera appliquée à notre autre grand projet : l’étude des 30 % de cancers du sein dits triple négatifs, qui résistent à tous les traitements disponibles”, poursuit la chercheuse. Environ 3 000 femmes sont concernées chaque année en France. Anne Vincent-Salomon est émue, soucieuse de partager le sentiment d’urgence qui l’habite : “Ces patientes, souvent jeunes, n’ont pas le temps d’attendre, elles ont besoin que l’on progresse vite, car ce sont elles que l’on n’arrive pas à sauver.” Pour comprendre l’origine de ces résistances, la professeure mise sur l’intelligence artificielle. “Il s’agit d’intégrer ces données avec celles issues de l’imagerie, des dossiers médicaux et de toute la connaissance scientifique déjà acquise dans le domaine. Les grands modèles de langage savent digérer toutes ces informations de nature très différente”, détaille Joëlle Barral, la scientifique française qui dirige la recherche de Google DeepMind, le laboratoire de Google dédié à l’IA. Son objectif à terme ? Aboutir à une publication conjointe, à l’instar d’autres travaux déjà menés par ses équipes avec des hôpitaux américains ou britanniques. “Cela montrera que l’on a fait avancer la science”, souligne-t-elle.Développer un langage communPour l’instant, l’alliance entre Curie et Google va d’abord se matérialiser par le recrutement de quatre jeunes postdoctorants, grâce à un don de 2,2 millions d’euros de Google.org, la branche philanthropique de Google. Le reste du partenariat fait l’objet d’un accord de principe, et les discussions se poursuivent pour le finaliser. “Nous signons plus d’une centaine de contrats de collaboration par an avec des entreprises, hors essais cliniques, décrypte Amaury Martin, directeur adjoint chargé de l’innovation à l’Institut Curie. D’expérience, cela prend du temps : il faut que les chercheurs, de chaque côté, apprennent à se connaître, développent un langage commun, comprennent tout l’intérêt d’une collaboration.”Ici se pose en plus la question ultrasensible de la sécurisation et de la confidentialité des données. L’institut Curie s’est lancé très tôt, dès l’an 2000, dans la digitalisation de ses dossiers médicaux. Son entrepôt de données de santé contient 360 000 dossiers, 16 millions de comptes rendus médicaux, 2,1 millions d’imageries médicales, 25 000 examens génétiques et 25 000 lames d’anapath. Une richesse rare, qu’il n’est bien sûr pas question de transférer à l’entreprise américaine. Curie et Google apparaissent d’ailleurs très soucieux de ne prêter le flanc à aucune critique. “Les patientes donnent leur consentement pour l’utilisation de leurs informations personnelles à des fins de recherche. L’Institut Curie en conserve la propriété et le contrôle. Les données seront chiffrées et analysées dans le cloud sécurisé de Thalès, utilisant les technologies de Google, et des outils d’analyse et de calcul seront mis à la disposition des chercheurs”, résume une porte-parole du groupe américain. Sundar Pichai, lui, s’éloigne déjà, pour retrouver sa berline, et disparaître dans Paris. Vingt-sept minutes exactement se sont écoulées depuis son arrivée.



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Author : Stéphanie Benz

Publish date : 2025-02-13 14:58:44

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