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Scandales sanitaires : comment prouver qu’on est victime d’un médicament ou d’un vaccin

Les pharmaciens ont recours à la "débrouille" pour fournir les médicaments

Ces derniers mois, de curieuses affaires médicales ont fait l’actualité, suscitant de vives inquiétudes chez les patients. Il faut dire que les récits rapportés sortent de l’ordinaire. Du jour au lendemain, un patient s’est rué sur les jeux d’argent, jusqu’à voler des milliers d’euros à son fils. Un autre malade, plutôt puritain, est devenu d’un coup accro au sexe, insistant auprès de son partenaire plusieurs fois par jour. Un troisième s’est mis, sans plus de raisons que cela, à torturer des chats. Comme ça, pour le plaisir.Tous accusent le Requip, un médicament prescrit contre Parkinson, de leur avoir déclenché ces pulsions, de s’être emparé de leur libre arbitre. Deux plaintes ont été déposées. Ces cas, révélés par le Canard enchaîné et Radio France, n’ont pas encore été instruits. Mais ils posent une épineuse question : comment démontrer qu’on est victime d’un médicament ? Comment prouver que c’est bien la substance, et uniquement elle, qui cause l’effet que l’on dénonce, lorsqu’il est aussi subtile qu’un changement de comportement ?La plainte sur le Requip fait penser à d’autres affaires, toutes aussi stupéfiantes. Comme celle de la Paroxétine, toujours d’actualité elle aussi. En 2021, deux proches de malades ont enclenché une procédure judiciaire, là encore contre GSK. Ils accusent le laboratoire de ne pas avoir suffisamment alerté sur les effets indésirables de ce médicament, un antidépresseur. Les plaignants estiment que la molécule a empiré l’état mental de leur enfant, déjà dépressif. Il s’est jeté sous un train en septembre 2021.Ces litiges sont particulièrement complexes. Les patients qui ont reçu ces médicaments avaient déjà des risques de connaître les effets qu’ils dénoncent. La maladie de Parkinson, tout comme la dépression, affecte la production de dopamine, l’hormone responsable des circuits de motivation. C’est précisément parce que les patients ont déjà du mal à contrôler leurs pensées, impulsives ou suicidaires, qu’on leur donne ces traitements. Impossible, donc, en l’état, de savoir qui de la maladie ou de la substance, est à blâmer.”Avant, les gens se précipitaient à l’hôpital…”Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ces “culs-de-sac” ne sont pas rares. Ils sont même de plus en plus fréquents. “Apporter des preuves formelles est de plus en plus difficile à mesure que la pharmacologie avance”, estime Bernard Bégaud. Quand un médicament déraille, c’est son téléphone qui se met à sonner : l’universitaire, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et professeur émérite à l’Université de Bordeaux, est un des grands experts français du médicament.Le scientifique fait même partie des pères fondateurs de la “pharmacovigilance”, la science qui surveille les produits pharmaceutiques. Formé par les tout premiers penseurs du domaine, dans les années 1950, Bernard Bégaud a participé à structurer la discipline, essentielle pour détecter les remèdes toxiques qui pourraient circuler sur le marché. Il est désormais à la tête du conseil scientifique d’Epi-phare, la cellule qui centralise les efforts à l’échelle nationale.A ses débuts, dans les années 1970, les choses étaient plus simples, dit-il : “Les gens se précipitaient à l’hôpital, la peau en lambeau, pris de convulsion, ou de cirrhoses foudroyantes, des choses qu’on ne voyait pas comme ça. Désormais, il ne reste que les manifestations les plus délicates, celles qui peuvent se produire de manière naturelle”. Et de citer l’affaire du Mediator, dans laquelle il a été entendu comme expert. “Un cœur, ça ne dégénère pas tout seul, pas comme ça. Alors que des pulsions, tout le monde en a, n’importe qui peut décider d’y céder”.Pour des manifestations comme des “pulsions”, aucun test, aucun cliché médical, ne permet d’établir de lien direct. Les statistiques ne sont pas plus utiles. Si d’un coup, chez les consommateurs d’un médicament, l’occurrence d’une certaine pathologie explose, c’est, d’ordinaire, le signe d’un problème. Si en plus, ce que l’on sait du médicament, sur quel organe, quelles fonctions il agit, s’il y a des précédents ou des molécules de la même famille qui présentent un risque similaire, le faisceau d’indices est exploitable. Mais pour les affaires dont parle le professeur Bégaud, rien de tout cela ne suffit.Possible n’est pas certainCe qui est vrai pour le Réquip est aussi vrai pour la paroxétine : en dehors de flagrantes erreurs médicales, les personnes qui reçoivent des antidépresseurs sont précisément sujettes aux envies suicidaires. Et comme les suicides sont peu fréquents, les chiffres ne sont pas suffisamment précis pour être éloquents. A chaque fois, les plaintes sont théoriquement fondées, la substance peut être en cause dans les comportements dénoncés. Mais “possible” n’est pas “certain”.Les spécialistes doivent alors s’en remettre à une méthode. La méthode “Bégaud”, encore lui. “Elle porte mon nom mais ce sont en réalité mes mentors qui l’ont inventée”, assure-t-il. Il s’agit d’un questionnaire, très travaillé, permettant d’obtenir un score. “Selon le résultat, on peut dire si un cas est exclu, douteux, probable, ou vraisemblable. Cela ne résout pas tout, mais cela permet de rendre l’analyse la plus objective possible”, abonde le professeur François Montastruc, à la tête du centre de pharmacovigilance de Toulouse, et qui voit lui aussi la complexité des affaires s’intensifier.La méthode Bégaud, développée en 1978, commence par éliminer les fausses pistes. “Il y a dans les éléments du dossier des choses qui peuvent avoir été oubliées, une vieille hospitalisation psychiatrique avant traitement par exemple”. Puis elle s’assure que la cause précède l’effet, que les manifestations suspectes se sont produites après avoir ingéré le médicament, et que celui-ci est bien pris pour la première fois. Elle reprend ensuite les éventuels éléments statistiques et théoriques du dossier, avant d’entrer dans des vérifications plus subtiles.Quand la justice doit trancher seule”Si les patients qui prennent de grandes doses ont de plus grands troubles, c’est un élément. Mais plus le malade est dans un état dégradé, plus il risque de prendre le traitement. Là encore, on ne peut pas dire si le responsable est la substance ou la maladie”, poursuit le spécialiste. Là encore, les embûches sont nombreuses. Il n’est parfois pas possible de procéder à toutes les analyses : “Arrêter puis réintroduire le traitement peut s’avérer un bon indicateur. Mais dans le cas de personnes suicidaires, on ne peut prendre ce risque”, reprend Bernard Bégaud.Le spécialiste a en tête un dossier particulièrement récalcitrant, qui le hante depuis des années : celui des benzodiazépines. Cette famille de puissants calmants, très souvent prescrits aux personnes âgées, est suspectée de causer, ou d’accélérer les démences. “C’est l’exemple typique d’un cas de figure où au niveau individuel, on ne peut rien conclure. On est sur des publics de plus de 80 ans, qui de toute façon deviendront plus ou plus séniles à un moment ou un autre”, souligne le spécialiste.Quand la science ne peut pas trancher, c’est à la justice de décider. Sa logique n’est pas là même. 1998. Autre affaire, même problématique. Des vaccins contre l’hépatite B, sont suspectés de causer la sclérose en plaques. 249 cas sont rapportés. Certains des procès sont toujours en cours. “Dans ce cas de figure, en l’absence de preuve formelle, les juges ont tout de même fait le choix d’indemniser les victimes, car ce vaccin était obligatoire. D’une certaine manière, c’est une reconnaissance d’une forme d’injustice”, analyse l’expert.Ce cadre théorique ne présume pas de l’issue des plaintes contre GSK, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions. La plupart du temps, les litiges portent sur ce que savait l’industriel, et ce qu’il a mis en œuvre pour s’assurer de la sécurité du patient. Mais il permet de s’approcher de la réalité, d’une réponse “objective”. Reste que, de l’avis des experts, ces zones d’ombre de la science profitent souvent aux industriels, qui peuvent appuyer sur les doutes persistants pour convaincre les juges. Jusqu’à ce que de nouveaux éléments fassent pencher la balance, ou que les technologies médicales évoluent.



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Author : Antoine Beau

Publish date : 2025-02-13 06:00:00

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