PanoramaPar Lilia Hassaine.Gallimard, 240 p., 20 €.Un roman de Lilia Hassaine, distingué par le prix Renaudot des lycéensIls ont bon goût, les jeunes du prix Renaudot des lycéens. Très bon goût. Ils viennent en effet de distinguer le 3e roman de Lilia Hassaine, Panorama, l’une de ces dystopies à la fois sombres et lumineuses qu’on ne lâche pas avant de l’avoir terminée. L’action se déroule en 2049, soit quasiment demain, et on frémit tant son propos nous semble plausible.En 2049, vingt ans après la Semaine de la vengeance (sept jours de Terreur) alimentée par les réseaux sociaux, la France est régie par une constitution célébrant l’ère de la Transparence. “Si nous n’avons rien à nous reprocher, pourquoi ne pas accepter de tout montrer ?”, clame l’architecte “d’un nouvel art de vivre”. Plus de secrets, plus d’agressions sexuelles, plus de cambriolages, juste la bienveillance et la vigilance citoyennes. Un cauchemar, dont se réjouissent la plupart des Français, à l’exception que quelques réfractaires, parqués comme il se doit dans des zones insalubres en marge des villes. Le reste de la population vit dans des “maisons-vivariums” au su et au vu du voisinage, la dernière intimité se réduisant à des “lits-sarcophages”.C’est dans cette atmosphère sans peur qu’arrive l’inimaginable : la disparition d’un couple et de leur enfant résidant à Paxton, le quartier des “Blancs friqués”. Le 17 novembre, la famille Royer-Dumas a en effet été aperçue pour la dernière fois à 17 h 07 par la patrouille de voisinage. Puis, plus rien, volatilisée. Hélène Dubern, la narratrice, devenue “gardienne de protection”, reprend ses habits de policière. Accompagnée de Nico, elle enquête, auprès des voisins, mais aussi aux Grillons, le quartier des réfractaires (immeubles ou pavillons aux murs en béton) soumis à la vidéosurveillance et à l’opprobre des bien-pensants _ qui n’hésitent pas à les envoyer en prison au terme d’un bref débat télévisé transformé en tribunal populaire. Mais alors, que s’est-il passé chez les Royer-Dumas ? Réponse au cours de ce thriller psychologique diablement intelligent. Marianne PayotDe Gaulle, une vie. L’homme de personne, 1890-1944.Par Jean-Luc BarréGrasset, 992 p., 30 €.Trois Français (Paul-Marie de La Gorce, Jean Lacouture, Eric Roussel) et un Britannique (Julian Jackson). Si les ouvrages sur Charles de Gaulle abondent, les biographes qui ont oser se frotter à ce monument sont relativement rares. L’écrivain, historien et éditeur Jean-Luc Barré relève le défi avec un premier volume, de près de mille pages, de ce qui doit constituer une monumentale trilogie. Ce tome couvre la jeunesse monarchiste du Connétable, les déconvenues dans l’armée d’un militaire sûr de ses convictions, puis le rôle de sa vie en tant qu’incarnation de la France libre durant la Seconde Guerre mondiale. Le lecteur trouvera pas de révélations fracassantes, mais un style remarquable, des clarifications bienvenues sur le gaullisme naissant, ainsi qu’un parti pris fort : s’il savait faire preuve de pragmatisme, De Gaulle était avant tout un leader doté d’une vision profonde, comme sur la décolonisation. Récompensé par le prix Renaudot essai, Jean-Luc Barré confirme, après ses biographies de François Mauriac, de Dominique de Roux ou de Jacques et Raïssa Maritain qu’il sait comme personne raconter les existences de personnalités complexes ancrées dans une France catholique, monarchiste et littéraire, mais qui ont su évoluer avec leur temps. Thomas MahlerLa Troisième MainPar Arthur DreyfusP.O.L, 494 p., 24 €.Un roman picaresque et fantastique d’Arthur Dreyfus, lauréat du prix Castel 2023Ce n’était peut-être pas le meilleur roman de la dernière rentrée, mais assurément le plus original et le plus créatif. Après Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui (2021), Arthur Dreyfus tourne le dos à l’autobiographie pour renouer avec la fiction la plus débridée. La Troisième Main raconte l’histoire improbable de Paul Marchand, qui aurait mieux fait de ne pas passer à côté d’un champ de bataille en 1914… Un obus explose, le bras d’un soldat allemand transperce le ventre de Paul. Voilà qu’il est séquestré par une sorte de Frankenstein qui lui greffe à l’abdomen ledit bras, lequel continuer de gigoter. La Première Guerre mondiale avait ses gueules cassées. Paul, lui, sera une sorte de monstre à sa manière…Roman feuilleton picaresque et fantastique, La Troisième Main se place sous le triple patronage de L’Etrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, de Stevenson, du Portrait de Dorian Gray, de Wilde et de La Métamorphose, de Kafka. Le pauvre Paul ne sait que faire de ce bras qui a gardé sa propre volonté. Quand il se fait engager dans une fabrique de boulons, cela lui permet de briller. Mais quand il décide de se fiancer, sa dulcinée prend peur devant tant de bizarrerie. La main allemande joue divinement Bach, elle dessine des estampes japonaises comme personne, hélas elle est aussi sujette aux sautes d’humeur. Réflexion profonde sur ce que nous faisons de nos pulsions, ce roman a le mérite de ne jamais basculer dans la théorie. On rit beaucoup des péripéties de Paul jusqu’à ce que la dernière partie prenne une tonalité plus grave. Une réussite haut la (troisième) main. Louis-Henri de La RochefoucauldUne histoire des Trente GlorieusesPar Didier Pourquery.Grasset, 216 p., 19 €.C’est fou ce que les jeunes gens quêtent, angoissés, l’assentiment du père. Quarante ans après la mort du sien, Didier Pourquery l’attend toujours, cette approbation paternelle, alors même qu’il tente de retracer le parcours de ce représentant parfait des “Trente glorieuses”, obsédé par la réussite, le dépassement, la performance. Que n’aura-t-il pas fait pour lui complaire ? Sciences po, ESSEC – alors qu’il aurait bien suivi des études d’écologie et de journalisme – et mariage avec une jeune femme parisienne, pur produit d’une grande famille catholique du 8e arrondissement… Après la mort prématurée de Christian, en mars 1979, au volant de sa R16 TX sur la RN 10, Didier prendra son envol. Mais aujourd’hui encore, il entend sa voix, et redoute son humour froid et son second degré glaçant, tandis que les anciens collègues de Christian ne se souviennent, eux, que d’un homme compétent, charmant, bref beaucoup plus détendu que celui que Didier a connu.Puisant dans sa mémoire et dans celle des rares témoins vivants, l’ex-journaliste de Libération et du Monde relate avec verve le destin de ce père si emblématique de son temps, enfant de la Garonne, né “drôle” des coteaux de la rive droite, à Lormont, mort à 47 ans en chef d’entreprise (il avait créé en 1974 son propre cabinet de conseil en organisation). Un sacré parcours que celui de ce fils de la jolie Marie-Madeleine Gaudin, morte moins de quatre ans après sa naissance, et de Paul Pourquery, un tombeur des halles des Capucins. Elevé par ses grands-parents Gaudin, Christian est un bon élève mais doit entrer en apprentissage, selon le bon vouloir de son père. Il n’aura d’ailleurs de cesse de reprendre des études… On le voit, après ses épousailles avec Gisèle, gravir les échelons avec pugnacité, au rythme de l’essor de la future informatique, jusqu’à devenir un bourgeois de Saint-Cloud… Avec ce bel exemple de persévérance et de volonté, Didier Pourquery tire aussi le portrait de toute une époque, qui croyait dur comme au fer au progrès… A méditer. M. P.BabysitterPar Joyce Carol Oates, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Claude SebanPhilippe Rey, 608 P., 25 €.Un roman de la prolifique Joyce Carol OatesTout commence par un poignet que l’on effleure. Celui d’Hannah Jarrett, l’épouse docile et délaissée de Wes Jarrett, lors d’une soirée caritative dans un grand hôtel de Détroit. L’homme qui la touche est un inconnu au regard de faucon, qui ne révèle que ses initiales, Y. K. Presque à son corps défendant, Hannah accepte de le revoir dans une chambre du même hôtel, une fois, une deuxième, perdant peu à peu pied et ignorant les signaux d’alerte qui clignotent. Nous sommes en décembre 1977, et la ville commence à s’enfoncer dans la psychose à la suite d’une série de meurtres d’enfants. La presse a trouvé un surnom à leur prédateur, Babysitter.Tout pourrait n’être qu’une histoire d’adultère, doublée d’une intrigue criminelle. C’est mal connaître Joyce Carol Oates. Son extraordinaire talent à radiographier une époque et ses personnages. Et sa finesse pour restituer les stratégies de survie des femmes dans un environnement où l’hostilité surgit de partout, père, mari, amant. Le personnage de Wes, l’indifférence sophistiquée qu’il témoigne à l’égard d’Hannah, est glaçant de banalité. Quant à la spirale dans laquelle s’enfonce cette dernière, papillon attiré par les flammes, elle place le lecteur dans un état de sidération dès le début du récit pour ne l’en sortir qu’à la toute dernière ligne.Cette intensité, et cette acuité psychologique, sont tout aussi palpables dans un recueil de nouvelles paru simultanément, Monstresoeur (Philippe Rey, 354 P., 22,50 euros), qui explore ces thèmes et d’autres au moyen d’une sidérante diversité de styles, confirmant la place unique de l’auteure dans le panthéon de la littérature américaine. Bertrand BouardLa Grande Histoire de la Russie et de son empire et de ses ennemispar François ReynaertFlammarion, 419 p., 23 €.Depuis L’Orient mystérieux et autres fadaises paru il y a dix ans, le journaliste François Reynaert a entamé un périple dans l’histoire mondiale. Au vu de l’actualité ukrainienne, ce formidable vulgarisateur ne pouvait que se pencher sur l’histoire de la Russie, si maltraitée par la propagande du régime de Vladimir Poutine. Limpide, sa Grande histoire de la Russie est une lecture indispensable pour qui souhaite comprendre les causes profondes de l’expansionnisme et du messianisme, ces deux grandes névroses d’un Empire russe qui ne s’est jamais réellement décolonisé, ainsi que la schizophrénie d’une région qui depuis la Rus’ de Kiev jusqu’à Poutine en passant par la Horde d’or, Pierre le Grand ou les querelles intellectuelles du XIXe siècle opposant “occidentalistes” et “slavophiles”, n’a cessé d’osciller entre Europe et Asie. Mais la grande originalité de l’ouvrage, c’est qu’il aborde également l’histoire des pays voisins – souvent vassaux ou proies – du géant russe, de la Pologne à l’Asie centrale en passant par la Lituanie, le Caucase et bien sûr l’Ukraine.Comme dans tous les ouvrages de François Reynaert, on trouve une invitation à décentrer nos regards français et à s’intéresser à des histoires injustement méconnues, à l’image de celle, riche et souvent tragique, de la Pologne, aujourd’hui puissante montante à l’Est. T.M.Les Comédies de la bonne consciencePar Anna Cabana.Bouquins, 176 p., 20 €.Un livre espiègle sur l’envers et l’endroit du politiquement correct, signé Anna CabanaOn connaît Anna Cabana pour ses articles mais aussi pour ses livres à succès sur Cécilia Attias, Dominique de Villepin ou Alain Juppé. Dans son nouvel essai, Les Comédies de la bonne conscience, elle décrit ainsi son “registre de prédilection” : “le portrait impressionniste en suspension”, “la narration psychologico-politique”, “le roman de la réalité”. Journaliste depuis déjà vingt ans, Cabana connaît comme sa poche les coulisses du théâtre médiatique. Inutile d’inventer quoi que ce soit : ses carnets sont pleins d’anecdotes entendues et de choses vues.Les Comédies de la bonne conscience est un livre espiègle sur l’envers et l’endroit du politiquement correct. On y croise Dominique Strauss-Kahn, Emmanuel Macron, Nathalie Kosciusko-Morizet, Catherine Deneuve, Laurent Wauquiez… Cabana regrette l’évolution idéologique de son ancien ami Claude Askolovitch avant de faire l’éloge d’Amélie Nothomb, en laquelle elle voit une incarnation de la liberté d’esprit. Le meilleur chapitre, “Hop hop hop !”, est consacré à Jack Lang et à l’affaire de ses costumes Smalto. Comment cet inoxydable funambule politico-mondain avait-il réussi à s’en sortir quand d’autres (François Fillon ou François de Rugy) avaient sombré en tentant de s’excuser ? Il faut être souple pour rester du bon côté du cool – Frédéric Beigbeder et Matthieu Pigasse en savent quelque chose, eux aussi portraiturés ici. Si ce n’est pas aux vieux singes qu’on apprend à faire des grimaces, on conseillera ce livre aux jeunes ambitieux : ils pourront le lire comme un guide de survie pour durer dans certains cercles parisiens. L.-H. De L. R.La Mémoire délavéePar Nathacha Appanah.Mercure de France, 150 p., 17,50 €.Longtemps Nathacha Appanah a cru que ses ancêtres étaient arrivés à l’Ile Maurice, “proprets”, au début du XXe siècle, éloignés des cales des bateaux. C’est ce qu’elle nomme sa “mémoire délavée”. Il est vrai que dans sa famille, on reste flou sur les dates et les noms et que l’on ne cultive guère le culte de l’Inde. Il lui aura fallu se procurer en 2022 trois fiches nichées dans les archives de l’immigration indienne de l’Institut Mahatma Gandhi de l’Ile Maurice pour apprendre que ses trisaïeuls et leur fils de 11 ans, son arrière-arrière-grand-père, avaient débarqué à Port-Louis, capitale de l’île, alors britannique, le 1er août 1872, en provenance du port de Madras (aujourd’hui Chennai). Et qu’ils avaient donc enduré, comme 453 063 de leurs compatriotes entre 1834 et 1920, une longue traversée à travers les “eaux noires” de l’océan Indien. Avant de rejoindre la plantation de champs de canne dans le nord du pays où ils s’étaient engagés (venant ainsi remplacer les esclaves, désormais libérés), ils reçurent un numéro : le 35844 pour le trisaïeul, 45 ans, le 358445 pour sa femme, et le 358448 pour leur fils. Trois chiffres d’écart qui poussent Nathacha à envisager la perte de deux autres enfants à leur arrivée à terre. C’est ainsi qu’elle procède, l’auteure du Tropique de la violence, pour revisiter sa branche paternelle : son savoir, sa mémoire, les souvenirs familiaux, sa capacité d’imagination et sa volonté de combler l’absence…Un cocktail qui donne tout son charme à ce récit des origines qui s’attache essentiellement aux grands-parents de la romancière. Mariés selon la coutume très jeunes et par mégarde ou presque (les jeunes gens se sont trompé de promis (e) lors d’un double mariage) en 1925, ses futurs grands-parents vont connaître un drame en 1934. Accusé à tort de ne pas avoir accompli son quota du jour, le laboureur de 23 ans frappe son contremaître. Emprisonnement, expulsion du Camp Chevreau, le couple doit repartir de zéro, seul, et s’installe non loin de là, à Piton. Une vie de labeur, mais aussi parsemée de quelques moments heureux, les attend. Nathacha nous raconte tout cela avec une tendresse et une délicatesse infinies. M. P.Le Pays des loupsPar Craig Johnson, Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Sophie AslanidesGallmeister, 418 P, 24,50 €.Le shérif Walt Longmire est revenu de ses dernières aventures mexicaines dans un piteux état. Les plaies de coups de couteau (entre autres) sont à peine cicatrisées que les événements dans son comté d’Absaroka, Wyoming, le rappellent à son devoir : le corps d’un berger basque a été retrouvé pendu dans les montagnes du Wyoming. Suicide ? Meurtre ? Pour corser l’affaire, les pieds de la victime semblent avoir été mangés par un loup solitaire. De quoi susciter la colère de la population locale, persuadée qu’une fois que le loup a goûté à l’homme, il ne s’arrêtera pas en si bon chemin, et qu’une extermination s’impose, donc. Les candidats affluent.Retrouver le personnage de Walt Longmire est un bonheur intact même après une quinzaine d’épisodes (et une série télévisée) : son flegme, son sens de la répartie, ses relations compliquées avec son adjointe Vic, plus apaisées avec son chien. Et ses tentatives, cette fois, pour apprivoiser le plus redoutable des ennemis : un ordinateur. Dont il apprendra dans un chapitre désopilant qu’il peut lui servir à envoyer des messages, et même à recevoir des photos de sa fille et de sa petite-fille. Un polar des grands espaces dont chaque page est une bouffée d’air frais (et de bons mots). A noter également la réédition en format poche de la première (et excellente) aventure de Longmire, Little Bird (Gallmeister, 530 P, 12,80 euros). B. B.Cultivons la langue française !Par Michel Feltin-Palas.Héliopoles, 160 p., 17 €.Cultivons la langue française ! Quel beau programme que cette injonction. Semaine après semaine, notre collaborateur Michel Feltin-Palas s’y attelle via sa lettre d’information “Sur le bout des langues”. Ce sont ces chroniques qui sont reproduites ici, légèrement étoffées. “Ode aux onomatopées”. “Pourquoi dit-on ‘quatre-vingts’ et ‘dix-sept’ mais pas ‘trois-vingts’ et ‘dix-six’ ?” “Une cédille au parfum d’Espagne” ; “L’accent grave, un problème souvent aigu” ; “Parlerions-nous gaulois sans le savoir ?”… : Avec de tels titres de chapitres, l’on comprend qu’on entreprend là un voyage des plus plaisants en compagnie d’un auteur qui n’a rien d’un rabat-joie. Au contraire, Michel Feltin-Palas nous rappelle, à juste titre, que notre langue fourmille d’anciennes erreurs devenues la norme et qu’il en est ainsi de tout “être vivant”. Car la langue bouge, évolue, simplifie ou complexifie, c’est selon, et cela, nonobstant les geignements des puristes et des conservateurs. Alors, lisez cet ouvrage, déterrez, vous aussi, les racines des mots, histoire, entre autres, de briller (momentanément) lors de vos dîners. M. P.
Source link : https://www.lexpress.fr/culture/livre/livres-nos-dix-immanquables-du-mois-de-decembre-T4NSYWC7B5CXBA4Z2PYI7FE4CY/
Author : Marianne Payot, Louis-Henri de La Rochefoucauld, Thomas Mahler
Publish date : 2023-12-01 11:33:11
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.