De l’azur de la côte albanaise aux ors du palais Chigi. Prises cet été sur un yacht puis à Rome, les photos de la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni et de son homologue albanais Edi Rama mettaient en scène la même complicité, entre larges sourires et chaleureuses accolades. Et l’on sait désormais pourquoi les deux dirigeants ont passé leurs vacances ensemble : elles leur ont permis de finaliser dans le plus grand secret un protocole d’accord, annoncé le 6 novembre à la stupeur générale. Qualifié d’”historique” par Giorgia Meloni, il va permettre d’externaliser la gestion de la crise migratoire des rives de la Méditerranée à celles de l’Adriatique, en ouvrant deux structures d’accueil pour migrants sur le territoire albanais. Un projet qui s’inspire de celui d’un autre ami de la cheffe de Fratelli d’Italia, le Premier ministre britannique Rishi Sunak, qui voulait expulser vers le Rwanda les migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni.L’accord prévu par Rome et Tirana est néanmoins différent. Valable cinq ans et renouvelable pour cinq autres années, il prévoit la construction de deux centres en Albanie qui devraient être opérationnels au printemps 2024, le premier dans le port de Shengjin, où seront envoyés les migrants en vue de leur identification, le second dans la ville voisine de Gjader, qui servira de centre de détention provisoire. Ils seront entièrement financés par l’Italie et placés sous sa juridiction, tandis que leur surveillance sera confiée aux forces de l’ordre albanaises. Ces structures auront une capacité d’accueil de 3 000 personnes, qui, condition pour y résider, devront avoir été sauvées en Méditerranée par la marine italienne, et non par un navire des ONG. Au total, environ 39 000 demandes d’asile pourront être traitées chaque année. Les mineurs, les femmes enceintes et les personnes vulnérables ne seront pas concernés.La générosité de Tirana n’est sans doute pas gratuite”L’Italie ne sera pas le camp de réfugiés de l’UE”, avait averti la présidente du Conseil en prenant acte de l’échec de l’accord de partenariat entre Bruxelles et Tunis, signé sous son égide en juillet dernier pour endiguer les flux migratoires. Plus de 145 000 migrants ont débarqué dans la péninsule depuis le début de l’année, contre 88 000 pendant la même période en 2022. Fustigeant l’absence de solidarité de ses partenaires européens, Giorgia Meloni a donc décidé de se tourner vers un Etat voisin non membre de l’UE. “Si l’Italie lance un appel, l’Albanie répond présent, affirme son Premier ministre Edi Rama, qui prétend que cet accord est purement désintéressé. Il faut arrêter de voir le business partout. “Il est pourtant essentiel dans les relations bilatérales. L’Italie est le premier partenaire commercial de l’Albanie, les échanges entre les deux pays représentant 20 % de son PIB.Si aucune clause économique n’a été stipulée lors de la signature, la générosité de Tirana n’est sans doute pas gratuite.Un projet d’aqueduc sous-marin doit être prochainement réalisé. Il relierait l’Albanie aux Pouilles, région souvent touchée par la sécheresse. L’infrastructure, d’un coût de 1 milliard d’euros, créerait plus de 8 000 emplois en Albanie.Autre dossier sur lequel le gouvernement italien pourrait témoigner sa reconnaissance, celui des retraites des 500 000 Albanais qui ont travaillé dans la péninsule et demandent depuis des années aux autorités transalpines la reconnaissance de leurs droits et, surtout, le versement de leurs pensions.Les réserves de l’UEDans l’immédiat, Rome apportera surtout son aide diplomatique, moins coûteuse. “L’Albanie confirme qu’elle est un pays ami. Bien qu’elle ne fasse pas encore partie de l’UE, elle se comporte comme si elle était un Etat membre, a salué Giorgia Meloni. Je suis fière que l’Italie soit depuis toujours au nombre des pays soutenant l’élargissement aux Balkans occidentaux.” Tirana a déposé sa demande en avril 2009 et s’est vu accorder le statut de pays candidat à l’adhésion à l’UE en juin 2014 – les négociations finales se sont ouvertes en juillet 2022.L’accord migratoire soulève de nombreuses questions au sein de la Commission européenne, qui n’en a été informée qu’au dernier moment, et n’a pas tardé à exprimer ses réserves sur le respect des droits de l’homme. Le gouvernement Meloni affirme que les migrants ayant droit à la protection internationale seront pris en charge par l’Italie. Qu’en sera-t-il des autres ? Qui assurera les rapatriements ? D’où partiront-ils ? Quelle législation s’appliquera lors des transferts, l’italienne ou l’albanaise ? “Nous avons besoin de voir les détails, insiste une porte-parole de la Commission européenne. Nous demandons à recevoir des informations détaillées pour constater la pleine application des règles de l’UE en matière d’asile.”A Rome aussi, les doutes et la perplexité règnent. Giorgia Meloni a noué cet accord en solitaire. Ni les autres membres de la coalition gouvernementale ni le ministère des Affaires étrangères n’ont été informés, ce qui a suscité des critiques sur la façon dont la cheffe du gouvernement a géré un dossier très important pour l’opinion publique. Mais la dirigeante italienne ne voulait pas l’abandonner à son encombrant allié Matteo Salvini, leader de la Ligue, qui ne cherche qu’une chose : l’instrumentaliser à des fins politiciennes. Quant à l’opposition, elle fustige l’absence de “discussion parlementaire, de consensus politique, d’analyse publique, de transparence”. Riccardo Magi, le chef du parti +Europa, dénonce une “véritable déportation en violation flagrante du droit international, qui va créer une sorte de Guantanamo italien et qui n’est qu’une nouvelle initiative de propagande cruelle”. L’ouverture des deux centres en Albanie est prévue au printemps prochain, à quelques semaines des élections européennes. Elle représenterait un formidable argument de campagne pour le parti de Giorgia Meloni.
Source link : https://www.lexpress.fr/monde/immigration-entre-lalbanie-et-litalie-un-accord-qui-derange-lue-S473X4AASBCPHD22IDWTMEK3KM/
Author :
Publish date : 2023-11-11 07:00:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.